Fleur de Neige de Lisa See

Lisa See est une américaine d'origine chinoise, née pourtant à Paris en 1955. Son livre Fleur de Neige, paru en 2006, rencontre un tel succès qu'il est traduit dans plus de 20 langues!



Spoilers!! (comme d'hab)

Voici un joli ouvrage qui nous emmène avec beaucoup de poésie dans l'univers terrible des femmes chinoises dans l'ancien régime... Il ne faisait pas bon être une femme à l'époque... Ces dernières sont vues comme des fardeaux, comme "des routes à construire que d'autres emprunteront" (métaphore pas tout à fait exacte provenant du texte mais ressemblant... :p). Toute leur vie est vouée à l'obéissance, à la piété filiale, à la résignation, à la souffrance... même si la phrase "obéis, obéis, obéis - et après, fais ce qu'il te plaît" revient comme une rengaine, comme une promesse lointaine et si dure à obtenir! "Rien de plus fourbe que le coeur d'une femme" revient également comme un refrain assez gai.

Si elles ne donnent pas naissance à un fils, leur position dans la famille n'est pas assurée. Si elles n'obéissent pas en tout point à leur père, puis mari, puis fils (la fameuse règle des trois de Confucius), elles sont méprisables. Dans les familles les plus pauvres, on n'hésite pas à les abandonner. Et pire que ça. La domination des femmes est assurée par une tradition plus morbide et plus perverse que tout au monde, par une véritable mutilation de leur corps qui achève de les rendre totalement vulnérable et soumise: le bandage de leurs pieds.

J'ai écrit mutilation.

C'en est une.



La description, offerte par l'auteur, de ce passage de la vie d'une fillette m'a tourné l'estomac. Et ses sources sont sûres, puisque puisées depuis les dires même d'une vieille femme chinoise qui avait elle-même les pieds bandés. Cette pratique est tout simplement une abomination. Et dire qu'elle a perduré du Xe au XIXe... Les os sont cassés, les pieds sont déformés, plus d'une fille sur dix meurt de cette ignominie. Comment cette tradition a t-elle pu perdurer aussi longtemps...?

Bref, mise à part cette histoire de pieds, qui m'a vraiment ouvert les yeux, le roman évoque les vies parallèles de deux jeunes filles chinoises, Fleur de Lis et Fleur de Neige. Ces deux filles entretiennent un lien particulier du fait de la parfaite concordance de certains caractères (taille des pieds, jour de naissance... Tout au long du livre, on se rend compte des moultes superstitions et croyances populaires de la Chine, avec les devins notamment, très présents au cours de l'histoire): elles sont laotong. Cette amitié tragique m'a émue au point de m'extirper quelques larmes, je dois l'avouer. On se met tour à tour dans la peau de l'une et de l'autre; j'avoue que ma compassion allait davantage à Fleur de Neige, qui, battue, déchue, mariée à un boucher, dans la plus grande pauvreté, elle qui a toujours désiré s'envoler comme un phénix et explorer le monde... et qui, à cause d'un mot malheureux, d'une mauvaise interprétation, se verra séparée à jamais de sa laotong... Vraiment, pour le coup, je pense qu'elle n'a pas eu de chance.

Fleur de Lis m'a beaucoup énervée. C'est la fillette sage par excellence, celle qui ne fait jamais rien de mal, qui obéit sans scrupules à la tradition, quitte à se rendre aveugle des réalités qui l'entourent. On dirait presque qu'elle est dans le déni. Bien qu'elle refusait de le voir, elle méprisait au fond d'elle Fleur de Neige. Elle refusait de voir sa douleur, se contentant de lui assener des inepties. "Sois une épouse fidèle et irréprochable", "essaie d'avoir d'autres fils" sont ses conseils à Fleur de Neige lorsque le mari de cette dernière la bat et lorsque sa fille meurt. Sympa.

Sa lettre de récrimination, particulièrement, m'a laissé un goût amer. Je me demande encore comment elle a pu faire une chose pareille... Elle a tout le corps enfoncé et coincé dans le ciment de la tradition où on l'a élevée, elle ignore tout du monde des hommes (le monde extérieur, en fait) et ne souhaite pas le connaître, étant très contente dans son appartement des femmes avec sa broderie toute la journée. Cette austérité est peu compréhensible pour moi. Mais quand on considère le climat où elle a grandi...

Un roman très beau, très émouvant, où la fragilité, l'amour et l'honneur sont décrits sans nulle autre pareille. On découvre les valeurs très dures de la société chinoise. Une belle découverte, une histoire nouvelle!

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